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Roger Caillois, grâce à son indéfectible amie l’écrivaine, éditrice et mécène Victoria Ocampo, vécut durant de longues périodes en Amérique latine. Lui qui aimait le froid, l’aridité, la pierre, lui qui détestait la mer, la végétation luxuriante, la chaleur, préféra, on s’en doute, la Patagonie à l’Amazonie. Lors d’un séjour au Brésil, il eut néanmoins l’occasion de traverser la forêt amazonienne. Elle lui sembla terrifiante, spongieuse, vorace, très féminine, et lui inspira une répulsion vertigineuse.
Cette profusion végétale, cette vivacité sans limite, était à ses yeux une menace : « Je me demande si, à ce degré, la chlorophylle n’offre pas, exclusive et surabondante, plus de périls que la pollution. L’hypothèse sacrilège marque à quel point je reste prévenu contre une fécondité aveugle, illimitée que rien n’arrête, même pas son propre excès » (voilà une singulière opinion !).
Le monde minéral lui semblait tout le contraire. Caillois fut un collectionneur et un spécialiste des pierres. Bientôt, il ne cessera de les contempler, les étudier et les décrire (Pierres, L’Ecriture des pierres), de s’y absorber voire de s’y abîmer. « Je me sens devenir un peu de la nature des pierres. » Ces dernières apportent une forme de quiétude à l’homme inquiet, malmené par l’alcool et la maladie : « Entre la fixité de la pierre et l’effervescence mentale, s’établit une sorte de courant où je trouve pour un moment, mémorable, il est vrai, sagesse et réconfort. »
S’absorber dans les pierres rejoint aussi un fantasme autodestructeur chez Caillois : celui de la disparition dans un tout, de la pétrification, de la fossilisation, de la fusion, de l’anéantissement de la subjectivité (il était fasciné par la « psychasthénie », pour lui une dissolution du sujet dans le monde, de son assimilation à l’espace). Les pierres offrent en outre une possible cristallisation pour surmonter les fêlures, les incohérences de soi et du monde. Mieux, elles sont le monde, l’« exemple d’un immuable inhumain », l’« absence de péripétie » comme « rançon de la vie ». Elles dépassent le temps humain, renvoient l’homme à son insignifiance, à sa dimension épisodique. Sans le nier ni l’exclure.
Ainsi les pierres sont-elles, pour lui, le chiffre d’un « univers sans doute », « immense et labyrinthique », au sein duquel « les brumes, les nuées qui constamment s’y effilochent et s’y recomposent, dissimulent un plan quadrillé ». Le monde n’est pas une « sylve inextricable et confuse, mais une forêt de colonnes dont les alignements rythmés répercutent le même message : la prééminence, sous le vacarme général, d’une architecture dépouillée ».
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